De la cité universitaire au musée : un mobilier étudiant par des décorateurs de renom

Découvrez une œuvre choisie et commentée par un membre de l'équipe des musées municipaux

Chambre Ruhlmann, Maison des provinces de France © CiuP/DR

Derrière le mobilier de cette petite pièce se cache un grand nom de l’Art déco : Jacques-Émile Ruhlmann. Ce dernier, avec d’autres célèbres décorateurs et ensembliers de l’époque, participent à l’ameublement des chambres de la Cité universitaire dans les années 1930.

La Cité internationale universitaire : un projet ambitieux de l’après-guerre

L’histoire de la Cité universitaire de Paris commence au lendemain de la Première Guerre mondiale. Ses fondateurs se rassemblent avec le projet de créer un espace de logement pour les étudiantes et étudiants venus du monde entier. Portés par les idéaux universalistes d’une meilleure compréhension entre les peuples, ils ont aussi l’ambition de participer au rayonnement culturel de la France et de faire de Paris la capitale intellectuelle du monde. Ainsi, la Cité universitaire est conçue non seulement comme un gîte, mais aussi et surtout comme un espace de sociabilité, au sein duquel se côtoient étudiants de toute la France et du monde.

Maison des Provinces de France, anonyme, entre 1930 et 1950, Photographie, Paris musées/Musée Carnavalet.

Les trente-quatre hectares sur lesquels s’étend aujourd’hui cette cité-jardin abritent différentes fondations, ou maisons, de divers pays du monde : parmi elles, le Collège franco-britannique, fondé en 1937, et la Maison des provinces de France, fondée en 1932. C’est le mobilier des chambres de ces deux maisons que conserve aujourd’hui en partie le musée des Années Trente.

Des décorateurs sélectionnés par concours

Deux concours sont organisés en 1932 et 1935 pour sélectionner les décorateurs qui aménageront les chambres de ces deux maisons (près de 300 chambres chacune). Ceux-ci ont des consignes bien précises : le règlement du concours établit que les projets doivent répondre à des conditions optimales de coût – pas plus de 3.300 francs par chambre -, de confort, d’hygiène, ou encore de « diversité dans le détail pour éviter le plus possible l’impression d’uniformité ».

Compte tenu de ces contraintes, et après délibération, le jury choisit Jacques-Emile Ruhlmann, Maurice et Léon Jallot, Eugène Printz et l’entreprise Vinay pour la Maison des provinces de France ; et Maurice et Léon Jallot, Jean Pascaud, Eugène Printz et la maison Devèche pour le Collège franco-britannique, ainsi que pour la maison de Monaco.

A la même période, de nombreux autres décors sont réalisés à travers toute la Cité universitaire. Au Pavillon suisse - construit par Le Corbusier et Pierre Jeanneret - Charlotte Perriand aménage plusieurs chambres ; à la Maison de Cuba, cinq modèles de chambres au mobilier de style « colonial espagnol » sont fabriqués d’après les dessins d’Albert Laprade ; à la Maison du Japon, Marcel Magne conçoit le mobilier et Foujita réalise deux peintures murales. Dans le hall de la Maison des étudiants suédois, le mobilier est créé d’après les dessins de Carl Hörvik et envoyé directement de Stockholm.

Un style simple, fonctionnel et élégant

Les chambres – qui font en moyenne 14m2 - sont conçues pour être des lieux d’étude, propices au travail, mais aussi des espaces de repos. Comme l’expliquait Lucien Bechmann en 1926 - architecte de la première maison de la Cité universitaire - la chambre se doit d’être un « cabinet de travail, presque un salon, pour y travailler et y recevoir ». La décoration et l’ameublement y ont une place particulièrement importante : les meubles doivent être robustes, faciles d’utilisation et d’entretien, mais aussi conférer à l’étudiant quiétude et intimité.    


  

Chambre Jallot, Maison des Provinces de France © CiuP/DR.

La chambre imaginée par Léon et Maurice Jallot pour la Maison des Provinces de France (ci-dessus) se compose ainsi d’un lit-divan, d’un bureau – éclairé par une lampe Perzel -, d’un petit meuble de chevet, de deux bibliothèques à armoire … le tout en chêne teinté et ciré. Le bois est privilégié par tous les décorateurs pour ce mobilier universitaire.

Le papier peint a également son importance : les murs des chambres de la Maison des Provinces de France sont tapissés d’au moins sept papiers différents, signés Ruhlmann.

  

Bibliothèque à armoire, Léon et Maurice Jallot, et papier peint, Jacques-Émile Ruhlmann, vers 1932, Musée des Années 30.

On retrouve cette simplicité et cette élégance dans la chambre conçue par Léon et Maurice Jallot pour la fondation franco-britannique (ci-dessous). Le bureau et les chaises sont en sycomore, la commode en merisier ; le tout agencé de façon à disposer d’un coin travail et d’un coin réception, dans l’esprit des fondateurs du lieu. En somme, un « ensemble très distingué et de bonne tenue », comme le remarquait le jury du concours.

Marius Gravot, Chambre Jallot, Collège franco-britannique, Mobilier et décoration, janvier 1939, BnF.

Léon et Maurice Jallot, table-bureau et fauteuil, vers 1936, Musée des années 30.

Une grande partie du mobilier de ces chambres fait aujourd’hui partie des collections du musée des Années Trente. La Maison des Provinces de France de la Cité universitaire, rénovée au début du XXIe siècle, a quant à elle conservé quatre "chambres historiques", restaurées avec le mobilier de 1933, et décorées avec le papier peint de J-E. Ruhlmann, réimprimé. Certains étudiants peuvent toujours y loger. Le reste de la collection a été vendu aux enchères dans les années 2000 et se trouve aujourd’hui dans des collections privées.

 Lucile Devulder, stagiaire au musée des Années 30.

Pour aller plus loin :

Blanc, Brigitte, et al. La Cité internationale universitaire de Paris : de la cité-jardin à la cité-monde. Éditions Lieux-Dits, 2017.

Site internet de la cité internationale universitaire de Paris

Centre du patrimoine de la cité internationale universitaire de Paris

*Image de couverture : Chambre Vinay, Maison des provinces de France ©CiuP/Photo Louis Fréon/DR.