Des bibelots espiègles : quand la Maison Robj bouscule la céramique
vendredi 25 avril 2025
Focus sur la boulonnaise Maison Robj très appréciée dans les années 1930 !
Dans les réserves du Musée des Années 30, un petit théâtre de céramique s’anime. On y trouve des figurines aussi colorées qu’espiègles, presque « croquées », signées par la Maison Robj : un Écossais jouant de la cornemuse, une Espagnole drapée dans son châle ou encore un Moine bouddhiste semblant méditer. Derrière leur apparence décorative, ces bibelots de porcelaine cachent des fonctions inattendues.
Bouteilles à liqueur L’Écossais et Napoléon, vers 1928, porcelaine émaillée, inv. 1996.4.6.0 et 2003.4.3.0 © Domaine public. Musées de la ville de Boulogne-Billancourt - Photo Philippe Fuzeau
Levez la coiffe de L’Écossais ou de Napoléon, et vous découvrirez des bouteilles chargées de conserver du whisky pour le premier, de la fine pour le second (le curé prêtera quant à lui ses traits caractéristiques à la bénédictine). Regardez attentivement le Moine bouddhiste et vous repérerez la coupe qui en fait un brûle-parfum. Soulevez L’Espagnole ou la Marquise et vous révèlerez sous le châle ou la jupe une bonbonnière.
L’Espagnole fait par Vever pour Robj, et Marquise, vers 1923, porcelaine émaillée, inv. 1996.4.5.0 et 1991.36.1 © Domaine public. Musées de la ville de Boulogne-Billancourt - Photo Philippe Fuzeau
Durant l’entre-deux-guerres, ces bibelots utilitaires pleins de fantaisie séduisent une clientèle avide de modernité et d’humour. Chaque pièce est le fruit d’une maîtrise technique et d’une esthétique soignée derrière lesquelles se trouve la Maison Robj, anagramme de Jean Born, son fondateur en 1908. Si Robj produit d’abord des allumeurs électriques, brûle-parfums et divers bibelots, l’entreprise connaît une brillante impulsion lorsque Lucien Willemetz en prend la direction après le décès accidentel de Jean Born en 1922.
Elle se distingue en remportant une médaille de bronze à l’Exposition des arts décoratifs et industriels modernes de 1925, événement phare qui marque l’avènement de l’Art déco. Et Lucien Willemetz ne s’arrête pas là : il organise en 1927 un concours de bibelots d’art en céramique dont le jury présidé par Paul Léon, le directeur des Beaux-Arts, réunit des artistes renommés, à l’instar de François Pompon ou Paul Landowski. Le concours, devenu une véritable tradition de l’entre-deux-guerres, attire de nombreux artistes qui, comme Raoul Lamourdedieu, Jean Le Seyeux ou Pierre Toulgouat, conçoivent des pièces originales et innovantes.
Serre-livres, vers 1926 et brûle-parfum Moine bouddhiste, 1928, céramique émaillée, inv. 2010.0.60.2 et 1994.56.2 © Domaine public. Musées de la ville de Boulogne-Billancourt - Photo Philippe Fuzeau
Leur collaboration avec la Maison Robj donne vie à des brûle-parfums, boîtes à poudre, serre-livres ainsi qu’aux célèbres bouteilles à liqueur qui apparaissent en 1928, à l’occasion du 18ème Salon des Artistes Décorateurs. Cette créativité, exprimée à travers des lignes épurées, des couleurs vives et des détails humoristiques, va de pair avec une qualité irréprochable de la production. Robj s’entoure ainsi des meilleures manufactures : Sèvres, Limoges mais aussi Fau et Guillard ou l’atelier Bever à Boulogne-Billancourt, où sont notamment décorés les « blancs ».
Publicité Robj dans le journal L’illustration du 6 mars 1926
Véritable succès commercial, les publicités vantent que « les bibelots signés Robj sont les cadeaux les plus appréciés » et « le complément de tout intérieur élégant ». Leur charme tient aussi à leur rôle : l’écrivain René Chavance les décrit en 1929 comme des « ambassadeurs de l’art de ce temps », apportant fantaisie aux intérieurs modernes épurés et modernité aux décors plus classiques. Le critique d’art Paul Sentenac évoque quant à lui en 1927 une « psychologie des bibelots », véritables « cadeaux parlants » qui « reflètent à la fois votre personnalité et celle de leur futur propriétaire ». Robj l’a bien compris : chaque pièce incarne un univers, un caractère. L’artiste Francis Thieck souligne ainsi qu’« une marquise du XVIIIe prêtera à une blonde son charme délicat, tandis qu’une Espagnole conviendra à une beauté brune et dorée ». L’Encrier Pierrot séduira quant à lui les amateurs de poésie par sa pose mélancolique.
Fait par Fau et Guillard pour Robj, Encrier Pierrot, 1928, céramique émaillée, inv. 1994.56.3.0 © Domaine public. Musées de la ville de Boulogne-Billancourt - Photo Philippe Fuzeau
Les bibelots Robj prouvent que l’élégance et l’humour s’accordent à merveille, transformant les objets du quotidien en véritables œuvres d’art. Ils continuent aujourd’hui de séduire les amateurs d’arts décoratifs… et de glisser une touche de malice sur les étagères les plus sérieuses. Et vous, êtes-vous plutôt Encrier Pierrot ou bouteille à liqueur Napoléon ?
Philippine Lherbette